Nomadisme moderne

En Guinée, moments de ma vie normale

Au début, ma vie en Guinée était une vie pleine d’amour et d’affection avec ma mère, mon père et mes petits frères. J’étais dans une école privée où j’avais toujours des bonnes notes. Il y a plus de performance et de sécurité dans les écoles privées en Guinée, le nombre d’élèves par classe ne dépasse pas 35, nous étions deux par table. J’étais bien aimé par les professeurs, j’étais bon élève mais parfois je m’endormais en classe à cause de mon sandwich de 10h, ma maman le faisait avec du poisson grillé, du fromage et des œufs de poisson, no weli fou [1], j’adorais ça. Je me souviens des heures passées avec mon père dans la mosquée les vendredis et je me souviens aussi des heures, moins sympathiques, avec lui, lisant et apprenant le Coran pour avoir le droit de prendre mes jouets. Les enfants préfèrent toujours s’amuser et je n’étais pas différent. Mon jouet préféré c’était un fusil qui tirait des petites billes de plastique. Bien sûr, ça ne tuait rien et ça ne blessait même pas une mouche mais c’était MON jouet pour imiter les films d’action que je regardais à la télé. Après l’école, avec mes amis, nous allions en cachette à la rivière. On jouait dans l’eau même sans savoir nager comme les adultes et on adorait attraper des crabes dans la boue.  On se faisait gronder et parfois même taper, car à chaque fois nos yeux rouges nous dénonçaient à nos parents. En somme, une vie pleine d’amour et d’affection en Guinée que tout enfant souhaiterait avoir.

Mon parcours de Guinée en Europe

En 2021, mon père a été assassiné. C’était le début de mon cauchemar, mouidhé Allah bonata [2]. J’ai dû déménager avec ma mère, puis elle s’est remariée et nous sommes allés vivre avec son mari. Il était détestable avec moi. Il me traitait de bâtard, il me frappait et il me maltraitait jusqu’à ce qu’un jour il me dise de quitter sa maison. Pendant des mois, je vivais en cachette chez lui. Quand il était là, je partais et quand il partait, je revenais. Un jour, il m’a trouvé dans sa cuisine en train de manger. Il m’a assommé en me lançant un objet à la figure, une cicatrice sur mon front m’accompagne depuis. Je me suis réveillé à l’hôpital le lendemain, j’étais seul la journée, puis, le soir mon oncle est arrivé. Il m’a dit qu’il s’était bagarré avec mon beau-père, d’ailleurs on pouvait toujours voir quelques blessures et taches de sang sur lui. Après une semaine à Wanindara, mon oncle m’a proposé de l’accompagner au Mali. J’étais content de le faire, je n’avais plus envie d’être proche de mon beau-père mais d’un autre côté je ne voulais pas quitter ma mère. Enfin j’ai dit oui et nous sommes partis pour des vacances… en enfer.

Ce voyage était le monstre le plus effroyable que j’ai dû affronter dans ma vie. Après quelques jours au Mali, mon oncle nous a fait prendre la route pour l’Algérie. Au nord du Mali, des passeurs nous ont amenés dans une cour, une fois à l’intérieur il fallait payer encore une fois cette cour qui ressemblait plus à une prison qu’autre chose. Une fois sortis, ils nous ont emmenés dans une autre cour en Algérie et là on a dû payer encore une fois pour être libres. Les personnes qui ne démontraient pas beaucoup de respect  ou qui n’avaient pas d’argent sur elles subissaient des tortures et des maltraitances. Nous étions beaucoup dans ces cours, la mort n’était pas loin de nous.

En Algérie, mon oncle a travaillé quelque temps pour ensuite nous emmener en Tunisie ; je l’aidais parfois, d’autres fois je restais sur mon téléphone, à d’autres moments je discutais avec des jeunes comme moi, en peul ou en français. Après un mois environ nous sommes partis à Tunis puis à Fax. C’est là que je me suis séparé de mon oncle. A cette époque, des Tunisiens révoltés contre les personnes d’Afrique centrale faisaient la chasse ouverte aux personnes noires comme nous. Ils entraient de force chez les personnes noires pour violer les femmes et frapper et voler les habitants. Une nuit, on a entendu ces gens entrer chez nous. Mon oncle m’a aidé à m’échapper par la fenêtre, ensuite il m’a dit d’aller chez un ami à lui. C’était la dernière fois que je l’ai vu. Son ami m’a envoyé dans une autre cour le soir même. Le lendemain, des camions nous ont emmenés à la plage où un petit bateau nous attendait, nous étions 35. Je craignais la mer, je réclamais mon oncle et je ne voulais pas monter sur ce maudit bateau. Mais on m’a forcé à le faire. C’est comme ça que j’ai quitté l’Afrique, que j’ai quitté mon oncle. Après une journée dans la mer, près de la côte italienne, nous avons fait naufrage. Moi et 19 autres personnes nous nous sommes sauvées grâce à des chambres à air et à un bateau tunisien qui nous a jeté une corde pour qu’on attende la croix rouge italienne. Je n’étais plus moi-même, je me suis perdu dans la peur, La Ila Ha Ila Allah Mohamad Rassouloul Allah [3].

Ma nouvelle vie en Suisse

Le camp en Italie était plein, j’ai alors choisi de suivre un frère guinéen en Allemagne mais à Locarno il a disparu. Je ne savais pas où dormir, j’ai demandé de l’aide dans une église, j’ai trouvé un lieu d’accueil pour les migrants mais je ne pouvais pas rester faute de papiers, on a réfléchi avec le responsable et décidé d’appeler la police qui m’a amené à Chiasso puis transféré à Boudry. Après deux mois je suis passé à Rochat et enfin je suis arrivé à Bussigny puis Lausanne en novembre 2023. Après l’ORS et Caritas j’ai été placé sous la garde de l’EVAM.

Je ne sais toujours pas ce que mon oncle est devenu mais je voudrais le retrouver, Alpha Ibrahim. J’espère faire ma vie ici et si possible ramener ma mère pour vivre avec moi. J’aimerais devenir agrotechnicien bientôt, dans 5 ou 6 ans, voir plus mais je suis motivé à y arriver. La semaine prochaine je vais faire ma rentrée, j’irai à l’Ecole de l’Accueil. Ça me fait du bien de reprendre l’école, je commence à retrouver ma vie d’avant. J’espère vivre comme une personne normale en Suisse, avec des amis, une famille et même un chien ou une voiture. Incha Allah [4].


[1] No weli fou = miam miam (en se régalant)

[2] Mouidhé Allah bonata : expression peule significant ‘le destin est inévitable’

[3] La Ila Ha Ila Allah Mohamad Rassouloul Allah = prière centrale du Coran

[4] Incha Allah = s’il plait à Dieu (en arabe)

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Qui a écrit cette histoire ?

Son pays d’origine : Guinée Conakry
Sa langue première: peul, français

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